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P'tit Bout taille la route

Publié le 08 Novembre 2016 - Le clou dans les planches

Chacune des créations du Clan des Songes est l'occasion d'instants magiques et à ce jour, le Clou n'a jamais été déçu. Admirable capacité à ciseler un concept souvent minuscule, à en explorer les possibilités, les horizons, à soigner les conséquences techniques avec une précision d'orfèvres. Dans Bout à Bout, toujours sous la direction de Marina Montefusco, songeuses et songeur se collent à la manipulation de cordes, inspirée par les réalisations de Jean-Marie Hobet ; d'un bout à l'autre vous ne verrez que cette matière-objet et profiterez de son caractère protéiforme. Comme souvent, le songe du Clan s'adresse aux plus jeunes (dès trois ans) mais la poésie de ses illusions fascine indépendamment de l'âge.

Un Bout de chemin

Avec le cirque, la marionnette et les formes animées restent probablement le milieu artistique le plus marqué par l'émulation : il y a urgence à innover, à surprendre, et on y guette souvent la dernière trouvaille, la décoiffante originalité en matière de manipulation. De cette nécessité de révolution perpétuelle, le Clan des songes ne s'est jamais fait une loi, lui préférant la personnalité et la précision des alliances forme-fond : Cité (ici) s'émancipait véritablement des repères, mais Bella et Fragile (là) restent élaborés autour d'une marionnette personnage ; ce qui n'empêche en rien l'audace. La dernière création joue sur les deux tableaux : personnage il y a, héroïque même,
attachant sans nul doute... mais tissé de brins de chanvre, "rien de plus".

A partir de cordes de tailles variées, de musique et de bruits (Laurent Rochelle), de mignonnes saillies en grommolo, trois marionnettistes invisibles (Erwan Costadau, Marina Montefusco et Magali Esteban) donnent vie au parcours initiatique d'un p'tit bout, double des jeunes spectateurs : il s'agit de lâcher la corde parentale et de partir à la conquête de la ville, des amitiés et inimitiés qu'elle réserve. La manipulation ménage astucieusement l'anthropomorphisme et les propriétés de la corde, ne s'installant pas dans un simple parallèle entre l'objet et l'enfant : grâce à la souplesse de cette matière, la ville même prend vie, tout s'agglomère, se forme et se déforme, énonçant au passage une jolie métaphore sur la solidarité, l'union des cordes faisant leur force.

Illusion, tu n'es pas un vain mot : l'ajustement des lumières (Erwan Costadau) sur la structure (Alain Faubert) est tel qu'il faut vraiment mettre de la mauvaise volonté pour déceler la présence des marionnettistes ; l'exact contraire d'un théâtre à vue, dont on ne sait plus trop, finalement, s'il est redevenu en vogue ou pas, et en fait on s'en moque. Tant qu'à suivre la piste de la disparition, autant la mener jusqu'à son terme et bluffer les mirettes (qui enchaîne les spectacles de marionnette sait que cette réussite est assez rare).

Dépouillé, ramené à peu et multiple pourtant, l'espace marionnettique peut ainsi devenir le lieu de toutes les métamorphoses.

Manon Ona - Le clou dans les planches


Premiers de cordée

Publié le 14 janvier 2017 par globetrotter12

Ils en ont eu bien de la chance tous les scolaires qui jeudi et vendredi se sont succédé à la Maison des Jeunes pour voir un spectacle de marionnettes proposé par la Compagnie toulousaine Le Clan des Songes de passage à Rodez où elle a pris l’habitude de revenir régulièrement depuis quelques années. Plusieurs représentations pendant ces deux jours rien que pour eux avant de terminer par une séance ouverte à tous, spectateurs petits et grands, hier en toute fin d’après-midi. « Bout à bout » ce sont des histoires de cordes de toutes tailles et dimensions, lesquelles vont s’animer sous nos yeux pour nous emporter dans un monde entre illusions et poésie. Une succession de courtes séquences où les cordages deviennent tour à tour lances d’incendie ou boas constrictor, moyen de transport ou sumo se préparant au combat, bestiaire imaginaire où s’affrontent chien et chat mais aussi mangouste et serpent et autres pieuvre et poissons… des métamorphoses multiples qui s’enchaînent remarquablement et lorgnent vers l’ancien générique de Thalassa… Pour que chacun des personnages puisse s’exprimer, ces moments deviennent toujours plus aériens, bercés de lumière tamisée et de musique douce, le merveilleux se teinte de générosité et la tendresse se mêle d’ humour.

 

C’est juste infiniment délicat et malicieux, ni gnan-gnan ni moralisateur, juste de petites touches juxtaposées de grâce pure pour nous ouvrir les yeux sur un monde de rêves et d’utopies improbables. On glisse avec bonheur dans un univers intemporel où en filigrane sont dépeintes d’autres relations possibles, dont les êtres humains pourraient prendre de la graine. Des liens se nouent et se dénouent, on s’étreint, on se câline et on se console beaucoup plus que l’on ne se toise, se jauge ou se défie… Les trois artistes qui derrière le rideau donnent vie à ces créatures protéiformes font preuve d’une dextérité absolument incroyable.

Quand la manipulation atteint de tels sommets et s’affirme comme du grand art ou comment faire un grand spectacle visuel avec juste quelques bouts de ficelles !!! Vivement le prochain.

Jean Dessorty